Natalia Ginzburg, Tous nos hiers

L’accent qui chante vous conseille

Tous nos hiers

É

crit en 1952, « Tous nos hiers » est un roman âpre, sobre, imprégné de fatalisme, dont les thématiques centrales sont, à notre avis, la solitude et l’impuissance de l’être humain…

Le livre relate le quotidien de deux familles piémontaises, l’une plus modeste, l’autre plus aisée, simultanément marquées par la perte du père/chef de famille. Le roman se déroule de façon chronologique, sur un laps de temps allant des années du fascisme jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale.

Il s’agit d’un livre multigenre : à la fois roman familial, d’apprentissage, historique, dans lequel on peut lire en filigrane l’histoire personnelle de l’autrice (Calvino le définit comme le « pendant romanesque » de « Lessico familiare » / « Les mots de la tribu », probablement l’œuvre la plus connue de l’autrice).

Le style du roman est à plusieurs égards déroutant : non seulement à cause de l’absence totale de dialogues, mais aussi du fait de la voix narratrice, qui n’est ni celle de l’autrice ni d’aucun des protagonistes du récit. Ce narrateur anonyme s’exprime de manière factuelle, sans filtre, sans empathie, comme quelqu’un (un adolescent ?) dont la conscience du monde était encore en devenir.

Les choix stylistiques de Natalia Ginzburg nous ont interpellés : lui sont-ils nécessaires pour mieux exprimer l’indicible ? Pour atténuer le pessimisme existentiel dont le roman est lourdement chargé ? Pour davantage souligner l’incommunicabilité entre les êtres humains, autre thématique forte du livre ? Quelle qu’en soient les raisons, ils donnent un cachet unique à ce roman, que l’on pourrait également définir comme le « monologue intérieur » de tous et « de personne » (G. Magrini), une rengaine douce-amère qui nous berce et transporte jusqu’à la fin de la guerre.   

Les personnages mis en scène par Natalia Ginzburg sont particulièrement attachants, du fait de leurs imperfections, de leur petitesse. Ce sont des gens ordinaires, dont on apprend à connaître les bons et les mauvais côtés. Aucun jugement n’est porté sur leur conduite, ni sur les faits qui les voient protagonistes. Parmi eux, les jeunes occupent une place centrale. Ils incarnent une génération en quête de valeurs et en manque d’inspiration ; les garçons tentent la voie de l’engagement politique sans véritablement s’en satisfaire ; les filles, assujettis aux normes patriarcales de l’époque, peinent à devenir des personnes accomplies et subissement passivement le cours de l’histoire : elles sont dépeintes comme des « insectes » accrochés à leur feuille.

Au-dessus de cette cohorte de personnages, trône l’anti-héros du roman, Cenzo Rena (un alter ego de l’autrice ?), le seul véritablement et constamment animé par des valeurs, des convictions, malgré une vision très pragmatique de la vie. Sa chaleur humaine, son engagement acharné aux côtés des plus humbles, apportent par-ci par-là un souffle tragique au roman, mitigeant ainsi le côté très factuel de la narration.

À travers « Tous nos hiers », Natalia Ginzburg nous livre une vision très dure et désenchanté de la condition humaine, à un moment où les actes les plus abominables, de même que les plus héroïques, sont déjà classés sans suite et tout est à reconstruire ; elle nous parle aussi d’une époque – celle du fascisme, de la guerre, de la lutte partisane – s’achevant dans un silence de plomb, laissant les blessures ouvertes et un sentiment de profonde amertume. Ses mots, bien que durs à entendre, nous ont paru intrinsèquement justes, honnêtes.

Vous souhaitez commander ce livre ?
TOP