Veronica Raimo, Tout faux

L’accent qui chante vous conseille

Tout faux

D

epuis que j’exerce le métier de libraire, on me demande souvent si j’écris. Je réponds alors un peu intimidée que non, je me « limite » simplement à la lecture ; mes interlocuteurs me demandent pourquoi, comme si l’acte de lire était indissociable de celui d’écrire. Je trouve cette idée un peu saugrenue, mais je ne me défile pas et leur révèle toujours les raisons de ce rendez-vous manqué avec l’écriture. Avant tout, la conviction de ne pas en être capable, puisque si c’était le cas, il y a longtemps que j’aurais révélé mon talent. La deuxième raison est que j’ai trop de livres à lire et trop peu de temps à disposition, et la troisième raison est que la vie d’écrivain ne me fait en rien envie, même si à mon âge encore je considère les auteurs à succès comme des « monstres sacrés » à observer de loin.

Donc, je n’écris pas. Mais je m’amuse à classer les livres entre « ceux que j’aurais aimé avoir écrit » et « ceux que je n’aurais pas aimé écrire », une lubie qui semble en contradiction avec les raisons énoncées plus haut, mais dont je n’arrive pas à me défaire : cela m’aide à m’y retrouver dans la montagne de livres lus et encore à lire.

En haut de la liste des nombreux « livres que j’aurais aimé avoir écrit » se trouve depuis quelques semaines « Tout faux » de Veronica Raimo : un roman dont j’ai longtemps retardé la lecture avant de le proposer aux participants de « Sinergia letterarie » (par principe, je ne propose jamais de livres que j’aurais déjà lus). Clarifions déjà une chose : lorsque je dis que j’aurais aimé écrire ce livre, je ne veux pas dire que je voudrais échanger ma vie avec celle de la protagoniste du livre de Raimo (ceux qui l’ont lu comprendront). Mais si j’avais le talent nécessaire pour écrire, j’aimerais utiliser l’écriture pour faire tout ce que je ne souhaite pas ou ne me risque pas à faire dans la vie réelle, comme : raconter des semi-vérités, déconcerter, provoquer, me moquer ou faire de l’autodérision, faire rire à gorge déployée. Un peu comme au Carnaval, quand ogni scherzo vale* (« Au Carnaval, tout est permis »). Bref, je pourrais dire que dans « Tout faux », Veronica Raimo se déguise en l’écrivaine que je ne serais jamais.

S’ajoute à cela que j’ai un faible pour les histoires de familles dysfonctionnelles : c’est plus fort que moi, dès qu’il en est question je m’y plonge à corps perdu. Les récits que je privilégie sont ceux narrés à la première personne, dans lesquels je peux rester des heures à écouter les confessions des personnages souvent quelque peu extravagants que la vie a mis à l’épreuve, à l’image d’un psychothérapeute (un autre métier que je n’exercerai jamais). « Tout faux » s’inscrit dans cette catégorie mais s’en distingue par une caractéristique qui m’a perturbée et séduite à la fois : l’ironie. Chaque ligne de ce roman est en effet imprégnée d’une forme particulière et désopilante de sarcasme, qui est un mélange de détachement, de désenchantement et d’hyperbole. En résulte quelque chose de rare en littérature : un livre qui parle de choses sérieuses, souvent très dures, mais qui se lit presque comme une comédie.

La structure même de ce livre ressemble fortement à celle des comédies (exception faite pour le dénouement heureux, qui dans « Tout faux » n’est ni heureux, ni triste, simplement absent) : une succession d’anecdotes racontées avec détachement et d’une franchise impressionnante, qui prennent sans cesse le lecteur de court, le laissant de temps à autre perplexe entre le rire et l’émoi. Une anecdote toujours plus improbable que l’autre, et pourtant tellement crédibles (je défie quiconque de ne pas se retrouver dans au moins l’une d’entre elles). Chacune de ces anecdotes est une fenêtre ouverte sur la vie de la protagoniste, sur ses souvenirs : elle nous parle de la manière dont elle s’est forgé son opinion d’elle et des autres, nous brossant le portrait d’une femme en proie à un sentiment d’inadéquation, oscillant constamment entre la volonté de s’affirmer et celle de se cacher, entre être soi-même et prétendre être quelqu’un d’autre.

Dans ce roman court mais intense, si subjectif et pourtant si universel, Veronica Raimo aborde des thèmes complexes et controversés (l’identité, la famille, la maternité, le couple, la sexualité …) qui concernent chacun d’entre nous, quels que soient l’âge et le contexte social ou familial. Elle le fait dans une langue franche, incisive, et un style plus que fluide dans lequel se laisser emporter est un vrai régal.

À lire absolument !

*Litt. « chaque blague/farce compte »

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