uelle tâche ardue que de chroniquer ce roman délicieux sans l’abîmer tant il est délicat, exquis. Je voudrais, comme l’auteur l’a fait elle-même dans ce récit, trouver les mots à la mesure des émotions ressenties pendant cette lecture. Une lecture, toute en retenue. On rentre sur la pointe des pieds et on ressort de même. Comme si on ne voulait pas déranger ce lien exceptionnel qui se tisse, sous nos yeux, entre ces deux femmes, tellement différentes.
On accompagne, tout au long des deux-cent soixante dix pages, une relation improbable entre Lady Brown, une anglaise, veuve, installée sur la Riviera, et la dame de compagnie qu’elle a choisie. Une jeune femme, se présentant comme la fille illégitime d’un boyard russe, qui a vécu dans le luxe mais ne le peut plus … Pourquoi l’a-t-elle élue, elle, et pas une autre ? Peut-être parce qu’elle est auréolée d’une part de mystère, se disant obligée de s’éloigner du faste auquel elle est habituée pour des raisons assez obscures qu’elle ne dévoile pas … Toujours est-il qu’elle l’embauche et que nous allons suivre ces deux femmes pendant vingt ans de 1881 au début du nouveau siècle.
Irina, si toutefois c’est bien son nom, est en deçà et en delà, mystérieuse, d’une intelligente hors norme, caméléon, dotée d’un sens accru de l’observation, s’adaptant avec une facilité déconcertante, non seulement à sa patronne, mais aux voisins, à ce que lui offre la vie. Ils seront plusieurs à essayer de mieux la connaître mais elle répond d’une pirouette et personne ne va plus loin. Elle a une façon innée de nouer des liens, même avec des gens importants, un baron allemand, monsieur Nobel en personne. Veut-elle obtenir quelque chose d’eux ou est-ce simplement de la politesse, de l’intérêt ? Personne ne le sait, ni eux, ni la Lady et encore moins le lecteur (et dirait le narrateur : est-ce que ça le regarde ?)
Pourtant Lady Brown s’interroge, suppose, émet des hypothèses mais elle n’obtient rien d’Irina et elle n’est pas sans avoir compris que si elle insiste, sa compagne disparaitra … et elle lui est devenue indispensable. Pour les conversations, les échanges, le partage, tout en raffinement, respect et écoute.
Finalement, ce personnage assez secret, chacun se l’approprie, bien qu’elle soit totalement imprévisible. Elle le dit, elle a appris les bonnes manières dans les livres (c’est une grande lectrice, c’est sans doute notre seule certitude) mais le reste ?
L’histoire se déroule à Sanremo, où les riches s’installent près de la mer pour respirer le bon air. On se reçoit pour le thé, on discute de tout et de rien, surtout de rien, d’ailleurs… C’est la fin de la Belle-Époque. Les deux comparses, installées elles à demeure, observent ce qui se passe chez les voisins, les allées et venues, les visiteurs plus ou moins énigmatiques…. C’est calme mais parfois un événement bouscule tout.
Un tremblement de terre et tout est transformé …
J’ai été comblée, conquise, charmée par ce livre dès les premières lignes. J’ai énormément apprécié la description de l’atmosphère, des lieux, des rapports entre les uns et les autres. Moi qui veux toujours tout savoir, tout comprendre, j’ai trouvé très bien de n’avoir que des sous-entendus larvés, aucune certitude, hormis une légère rougeur sur les joues d’Irina (rougeur qui n’est en rien une conviction, je le sais). De plus Paola Capriolo tisse son texte avec des repères historiques réels bien introduits et qui apportent un éclairage intéressant et même un peu de piment (je pense aux rencontres avec Monsieur Nobel) à l’ensemble.
Merci à la traductrice qui a su transcrire cette écriture raffiné, poétique, parfois un tantinet surannée mais absolument enchanteresse.