Erri de Luca, Alessandro Mendini, Diables gardiens

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Diables gardiens

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ous vivons tous avec nos monstres, ceux qui peuplent nos nuits, ceux qui hantent nos journées. Inspirés par les dessins d’un enfant dyslexique, l’architecte Alessandro Mendini (décédé en 2019) et Erri De Luca ont imaginé dans ces « Diables gardiens » (Gallimard) un jeu espiègle entre l’image et la narration.

Alors que dans un exercice de légende ou a contrario dans celui de l’illustration, la lutte fraternelle du texte et de l’image pour la prééminence bat son plein, ici, comme le proposent les auteurs, « les hostilités sont suspendues » et l’image a résolument, à une exception près, le premier plan. Le texte devient alors un second temps d’imagination, faisant jouer à plein le processus d’évocation, la course folle de l’esprit. Cela donne un ouvrage superbe où les magnifiques planches de Mendini, épurées ou foisonnantes de couleurs et de lignes, anticipent les épiphanies textuelles de De Luca. On y croise dans une totale liberté au bout des traits ou du jaillissement des jaunes et des bleus, Camus, Don Quichotte et Saint Paul. Il y est question bien sûr des fantômes qui hantent aussi les romans de l’auteur italien, la guerre et l’engagement politique, la compassion et l’indifférence, la place qu’on peut encore donner à nos morts quand ils reviennent de ce « qui n’est pas un sommeil [mais] une insomnie ». Mais De Luca nous montre aussi combien l’image, physique ou mentale, est avant tout début d’une histoire, de toutes les histoires, et que cette dépendance est sans doute une indépassable et jouissive sujétion. Le dialogue qui s’en suit est particulièrement fécond, comme cette belle fugue à deux mains, celle du dessinateur qui dessine l’une avec l’autre tandis que l’écrivain pointe l’analphabétisme de celle qui ne sait pas écrire ou encore cette poursuite des ombres qui nous précèdent ou nous devancent, sous le crayon comme sous la plume. Mais ce qui surgit enfin de ces face-à-face dessins/textes, c’est l’entre-deux, un miroir irrésistible, celui où notre propre imaginaire nourri des deux pages en regard, s’échappe, digresse et s’envole.

Article tiré du compte Instagram À travers le miroir. Le copyright de cet article a été soumis au consentement de son auteur.

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