Edith Bruck, Le pain perdu

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Le pain perdu

I

l faut peu de temps pour qu'un monde s’effondre, quelques minutes à peine, juste en frappant à la porte d’une petite maison, en 1944. Deux gendarmes qui hurlent de sortir avec le minimum d’affaires ; un père qui tombe à terre ; un frère et une sœur soudain hagards et qui tentent de se cacher derrière les adultes et une mère qui crie : « Le pain ! le pain ! ».

Cette scène absolument bouleversante constitue le point de bascule de la courte autobiographie que la poétesse Edith Bruck a fait paraitre en 2021 et que les Éditions du sous-sol publient aujourd’hui dans la traduction de René de Ceccatty.

Jusqu’à cette scène, l’écrivaine parle d’elle à la troisième personne, de Ditke, comme si elle était encore une petite fille, la petite fille qui avait un avenir comme le pâton de pain que la mère préparait au moment de l’arrestation et qui, lui aussi, ne demandait qu’à lever pour s’accomplir.

Au moment où elle s’empare du « Je », au beau milieu d’une phrase, alors qu’elle a l’impression que les membres de la famille rapetissent et que les bourreaux deviennent immenses, Edith Bruck devient brutalement adulte, devient quelqu’un d’autre qu’elle-même, quelqu’un d’autre que la personne qu’elle aurait été si tout cela n’était pas advenu. 

Ce que nous livre ce récit de vie, au-delà de l’insoutenable relation de la vie dans les camps, au-delà de la narration des terribles difficultés du retour de déportation, c’est la sensation qu’aura toujours Edith Bruck, femme pourtant indépendante et affirmée, d’être en fait spectatrice de sa vie comme on l’est d’un conte, d’une histoire. Une histoire certes étonnante qui la mènera de sa Hongrie natale à l’Italie dont elle adoptera la langue en passant par la Tchécoslovaquie, la Grèce et Israël. Pour celle qui sait le poids de la langue et des mots, la plume galope dans l’urgence d’une femme âgée à nous dire qu’en dépit de la reconstruction, en dépit de l’asile et de l’amour trouvés, en dépit du succès d’une carrière, rien ne saura lui restituer ce qui est définitivement perdu,

« La petite fille aux pieds nus […] dans la ruelle Six-maisons où j’avais été moi, sans passé, rien qu’avec un avenir, il y a de ça une vie. »

Article tiré du compte Instagram À travers le miroir. Le copyright de cet article a été soumis au consentement de son auteur.

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