« Ses parents s’étaient trompés. Ils croyaient que Big Brother s’incarnerait en une puissance extérieure, totalitaire, autoritaire, contre laquelle il faudrait s’insurger. Mais Big Brother avait été accueilli les bras ouverts et le cœur affamés de likes, et chacun avait accepté d’être son propre bourreau. Les frontières de l’intime s’étaient déplacées. Les réseaux censuraient les images de seins ou de fesses. Mais en échange d’un clic, d’un cœur, d’un pouce levé, on montrait ses enfants, sa famille, on racontait sa vie. Chacun était devenu l’administrateur de sa propre exhibition, et celle-ci était devenue un élément indispensable à la réalisation de soi. »
P
eut-on garder le contrôle de notre vie, rester maître de notre destin, dans un monde de plus en plus dominé par les réseaux sociaux et les nouvelles technologies digitales ? A qui profitent cette connexion permanente, ces communautés de followers de plus en plus affamées d’informations personnelles à partager, à commenter ? Faut-il poser des limites, faut-il établir des règles éthiques et juridiques ? Pouvons-nous faire grandir nos enfants sainement dans cet environnement qui échappe à notre contrôle ?
Voilà tout un tas de questions fâcheuses qui nous sautent à la gorge à la lecture du dernier roman de Delphine de Vigan, « Les enfants sont roi ». Dans ce thriller, qui n’en est pas vraiment un, nous faisons la connaissance de deux personnages féminins que tout oppose : Mélanie, mère de deux enfants, youtubeuse professionnelle, constamment en quête d’affection, d’attention, d’admiration ; et Clara, policière discrète et méticuleuse, issue d’une famille d’intellectuels de gauche, qui cherche à se protéger de tout regard extérieur et peine à construire des relations affectives stables. Nous rencontrons les deux femmes à leur entrée dans l’âge adulte, puis les suivons d’un regard de plus en plus alarmé pendant une douzaine d’années, entrecoupés d’un événement tragique qui aura des lourdes conséquences sur leurs vies et notamment sur la progéniture de la youtubeuse. Nous n’en révèlerons pas plus ; nous vous conseillons simplement de placer ce roman palpitant au sommet de votre liste de livres à lire. Ça secoue, ça choque, bref, c’est une lecture qui en vaut vraiment la peine.